Comment la "glace ancienne" pourrait aider les scientifiques à protéger les glaciers
Vêtu d'une doudoune orange, le glaciologue japonais Yoshinori Iizuka pénètre dans une chambre froide à -50°C pour récupérer un échantillon de glace, prélevé dans la cadre d'un projet international visant à comprendre pourquoi les glaciers du Tadjikistan résistent à la fonte rapide observée ailleurs.
"Si nous pouvions comprendre le mécanisme derrière l'augmentation du volume de glace là-bas, nous pourrions peut-être l'appliquer à tous les autres glaciers du monde", explique ce professeur à l'université de Hokkaido (nord du Japon), en montrant l'échantillon du diamètre d'un poing.
Idéalement, "cela pourrait même aider à les régénérer", ajoute-t-il. "Peut-être que c'est trop ambitieux. Mais j'espère que notre étude aidera les gens."
En septembre, l'AFP a accompagné en exclusivité des scientifiques, dont M. Iizuka, dans des conditions extrêmes, jusqu'à un site situé à 5.810 mètres d'altitude, sur la calotte glaciaire de Kon-Chukurbashi, dans les montagnes du Pamir au Tadjikistan.
Cette zone est la seule région montagneuse de la planète où les glaciers non seulement résistent à la fonte, mais ont même légèrement grossi, un phénomène baptisé "anomalie du Pamir-Karakoram".
L'autre a été expédiée au laboratoire de M. Iizuka, à l'Institut des sciences des basses températures de l'université de Hokkaido, où les chercheurs cherchent à comprendre pourquoi les précipitations ont augmenté dans la région au cours du siècle dernier et comment le glacier a résisté à la fonte.
- Des siècles de météo -
Certains attribuent cette anomalie au climat froid ou à l'utilisation accrue d'eau agricole au Pakistan voisin, qui générerait davantage de vapeur. Mais ces carottes offrent la première occasion d'étudier le phénomène scientifiquement.
"Les informations du passé sont cruciales", souligne M. Iizuka. "En comprenant les causes de l'accumulation continue de neige du passé à aujourd'hui, nous pouvons clarifier ce qui se passera et pourquoi la glace a grossi."
Depuis l'arrivée des échantillons en novembre, son équipe travaille dans des chambres froides pour analyser la densité, l'orientation des grains de neige et la structure des couches de glace.
Lors de la visite de l'AFP début décembre, les scientifiques étaient équipés comme des explorateurs polaires pour découper et polir les échantillons dans le froid relatif de -20°C du laboratoire.
Ces échantillons racontent l'histoire des conditions météorologiques sur des décennies, voire des siècles.
Une couche de glace transparente indique une période chaude où le glacier a fondu avant de regeler, tandis qu'une couche peu dense suggère de la neige tassée, utile pour estimer les précipitations.
Des échantillons cassants avec des fissures révèlent une chute de neige sur des couches partiellement fondues, puis regelées.
D'autres indices apportent des informations supplémentaires: des matériaux volcaniques comme les ions sulfates servent de repères temporels, tandis que les isotopes de l'eau révèlent les températures.
- "Tâtonnements" -
Les chercheurs espèrent trouver des traces remontant à 10.000 ans ou plus, bien qu'une grande partie du glacier ait fondu lors d'un épisode chaud il y a environ 6.000 ans.
Une glace ancienne permettrait de savoir "quel type de neige tombait dans cette région il y a 10.000 ans? Que contenait-elle?", dit M. Iizuka.
"Nous pourrions étudier combien et quels types de particules fines étaient en suspension dans l'atmosphère à l'époque glaciaire", ajoute-t-il. "J'espère vraiment qu'il y a de la glace ancienne."
Pour l'instant, le travail avance lentement et avec précaution. Des membres de l'équipe comme Sora Yaginuma, un étudiant, découpent soigneusement les échantillons.
"Une carotte de glace est un échantillon extrêmement précieux et unique", souligne M. Yaginuma. "A partir de cette seule carotte, nous réalisons une variété d'analyses, chimiques et physiques."
L'équipe espère publier ses premiers résultats l'an prochain et prévoit "beaucoup de tâtonnements" pour reconstituer les conditions climatiques passées, indique M. Iizuka.
Les analyses à Hokkaido ne révéleront qu'une partie des secrets de la glace. Avec les autres échantillons conservés en Antarctique, d'autres recherches seront possibles, par exemple pour déterminer comment l'exploitation minière a historiquement influencé la qualité de l'air, la température et les précipitations dans la région.
"Nous pouvons comprendre comment l'environnement terrestre a évolué en réponse aux activités humaines", affirme M. Iizuka. Avec tant de mystères à percer, le travail est "extrêmement excitant", conclut-il.
Des milliers de glaciers disparaîtront chaque année au cours des prochaines décennies du fait du réchauffement climatique d'origine humaine, selon une étude publiée lundi dans la revue Nature Climate Change. Selon les scientifiques, seule une limitation de ce réchauffement pourra efficacement réduire ce phénomène de fonte accélérée.
Ch.Anglin--IP